† Minuit...
Lorsque Londres a rejoint Morphée, lorsque le marchand de sable a fini par se manifester, la capitale devient alors un infernal terrain de chasse pour les créatures de la nuit.
Les Von Trapp se retrouvaient, comme chaque samedi soir, autour d’un diner familial mais solennel. Elle était loin l’image de la famille parfaite qui se contait les anecdotes de la semaine passée, qui riait aux histoires amusantes des uns et qui se soutenait pour les nouvelles tristes des autres. Ici, aucun des trois enfants ne prononçaient un mot. Ils dînaient sans oser un regard, les yeux rivés sur l’assiette, le coeur bien amer de ne pas être en ville comme tous les autres jeunes de leur âge. Alors que les deux ainées compensaient leur déception avec le copieux repas, Oswald lui n’avait pas encore touché à son plat. Et comme chaque soir depuis quelques mois, ni la viande, ni le poisson, ni les légumes délicatement cuisinés par un cuisinier personnel trouveront leur salut dans l’estomac du jeune homme.
Tout le monde était au courant de sa transformation et pourtant ses parents persistaient à agir comme si rien ne s’était produit. Comme si la nuit du nouvel an n’était qu’un mauvais souvenir, comme s’il ne s’agissait que d’une banale soirée où la fête aurait mal tournée. Chaque samedi soir, Oswald assistait à ce repas sans avaler une seule miette de pain, sans boire une seule goutte d’eau, rien. Et pourtant, chaque samedi soir on lui apportait son entrée, son plat principal ainsi que son dessert. On osait même parfois lui servir un peu de vin. Cela en devenait presque sarcastique.
Le garçon avait fini par trouver cette situation amusante. Les Von Trapp voulaient absolument garder une image dorée de leur famille et ce, même entre les murs de leur propre maison. Quelle ironie.
L’ambiance était pesante mais il n’y avait rien d’inhabituel. Il n’y avait effectivement rien d’anormal jusqu’à ce que le père, le patriarche de la prestigieuse famille Von Trapp, brise le silence.
« Oswald, nous sommes déjà au mois de Mars, et vos études s’achèvent bientôt n’est ce pas ? J’imagine que vous avez déjà penser à votre futur ? J’ai discuté la veille avec le directeur de l’Université Magique d’Irlande. Il s’agit de la meilleure école en ce qui concerne les potions et l’étude des chaudrons..»Annonça t-il sur un ton glacial. Il n’adressa aucun regard à son fils mais l’adolescent savait qu’il ne s’agissait pas de mépris. Son père avait peur. Il était même terrifié par le vampire qui sommeillait dans son fils.
Oswald laissa échapper un soupir et répondit sur le même ton que son interlocuteur :
- Père, pourquoi tant d’acharnements ? Pourquoi ne pas voir la vérité en face ? L’Université est le dernier de mes soucis, et vous savez pourquoi ?Sans s’en rendre compte la colère venait de s’emparer de lui. Cela faisait une éternité qu’il n’avait pas ressenti une quelconque émotion. Il sentait quelque chose émerger en lui, comme une flamme qui commençait grandir dans ses tripes. Ses sourcils se froncèrent et son visage se raidit d’un coup.
- Parce que j’ai tout mon temps ! Tant que personne ne se sera décider à m’enfoncer un pieu dans ce qui me sert de coeur, je vivrai ! Vous entendez, je suis immortel ! Et vous savez pourquoi ? Oswald devenait de plus en plus pâle et ses traits semblaient se durcir de plus en plus. Ses soeurs s’écartèrent de la table, sa mère se mit à pleurer et son père resta de marbre, le regard toujours baissé.
- Parce que je suis un VAMPIRE ! Soudain ses canines apparurent comme deux crocs acérés. Ses prunelles azurées devinrent aussi noires que l’ébène. Il ne se contrôlait plus.
Oswald se leva, jeta sa serviette sur la table et sortit dehors pour se rafraichir les idées.
Son manoir surplombait la forêt. De son jardin, on pouvait admirer la vue imprenable sur les milliers d’arbres qui s’enfonçaient dans la vallée. Oswald avait besoin de marcher, de se défouler pour faire disparaître ce sentiment nouveau, cette rage qui réveillait son côté le plus sombre.
Mais quelque chose de plus grave oppressait encore plus le sorcier. Quelque chose qui ne renonçait pas à partir depuis sa transformation, quelque chose de réellement incontrôlable,il s’agissait d la soif de sang humain.
Si Oswald s’obstinait à ne pas céder à cette tentation, une alternative était susceptible de s’offrir à lui. En regardant sa montre, il vit les aiguilles indiquer minuit. Il était tard, aucun humain normalement constitué s’aventurait dans une forêt aussi vaste à une heure aussi avancée. Oswald pouvait en profiter pour chasser des animaux et assouvir enfin sa soif de sang chaud. Il n’y avait plus de temps à perdre.
Alors que ses soeurs étaient sorties dans le jardin pour retrouver leur frère et le consoler, Oswald avait déjà disparu.
Caché par les feuillages abondants, le vampire marchait à pas de loup le regard à l’affut d’une proie. Il se voyait déjà broyer le cou d’un cerf ou d’une biche. Il sentait déjà le flux chaud couler dans sa gorge et raviver son énergie. Son coeur, même mort, semblait battre à mille à l’heure. L'adrénaline envahissait son corps et effaçait de son esprit toutes les pensées négatives. Rien ne pouvait l’arrêter.
Soudain, il aperçut une ombre. Oswald se cacha derrière le tronc imposant d’un chêne. Les yeux plissés, le regard mobile, il était prêt à bondir et à abattre sa proie.